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moi, d’athées ; grâce à cette épithète, on nous met, pour ainsi dire, hors la Justice et la morale.

Sans que je m’effraie beaucoup de l’inculpation d’athéisme, je ne puis permettre cependant qu’elle dégénère en calomnie et proscription. Je pense à Dieu depuis que j’existe, et ne reconnais à personne plus qu’à moi le droit d’en parler. J’y ai pensé surtout au point de vue que je traite aujourd’hui : le lecteur jugera à quoi cette méditation m’a été bonne.

Si parfois il m’arrive de parler de moi-même, le motif n’échappera à personne. Les faits de ma vie sont moins que rien, et je puis défier toute l’industrie des biographes de faire sortir de mon insignifiante existence ni éloge ni blâme. Mais j’ai eu cet honneur insigne d’être pris pour type. On attaque en ma personne toute une classe de citoyens, on flétrit une tendance, on proscrit un ordre d’idées, une catégorie d’intérêts : j’ai le droit de suivre mes adversaires sur le terrain qu’il leur plaît de choisir, et jusque dans leurs licences.

On ne sait pas ce que couve cette plèbe que la Révolution a faite. On s’imagine que toute son éloquence est dans le scrutin. À moi, plus qu’à aucun autre, il appartient de lui servir d’interprète. Ce que penserait le peuple si, par une illumination soudaine, il pouvait d’un coup d’œil embrasser le travail philosophico-politico-théologique de quarante siècles, ce qu’éprouverait sa conscience, ce que conclurait sa raison, je puis le dire. J’ai eu le rare avantage, si c’en est un, de naître peuple, d’apprendre ce qui a fait le peuple tel qu’il est aujourd’hui, et de rester peuple.