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R. — Au fond, ce sont deux manières différentes de concevoir la même chose. On n’imagine pas que les hommes aient besoin, pour leur liberté et leur bien-être, d’autre chose que de force ; pour la sincérité de leurs relations, d’autre chose que de Justice. L’économie suppose ces deux conditions : que pourrait donner de plus la politique ?

Dans les conditions actuelles, la politique est l’art, équivoque et chanceux, de faire de l’ordre dans une société où toutes les lois de l’économie sont méconnues, tout équilibre détruit, toute liberté comprimée, toute conscience gauchie, toute force collective convertie en monopole.


Instruction II.
De l’appropriation des forces collectives, et de la corruption du pouvoir social.


D. — Se peut-il qu’un phénomène aussi considérable que la force collective, qui change la face de l’ontologie, qui touche presque à la physique, se soit dérobé pendant tant de siècles à l’attention des philosophes ? Comment, sur une chose qui les intéresse à si haut degré, la raison publique d’une part, l’intérêt personnel de l’autre, se sont-ils laissé tromper si longtemps ?

R. — Rien ne vient qu’avec le temps, dans la science comme dans la nature. Tout commence par un infiniment petit, par un germe, d’abord invisible, qui se développe peu à peu, et tend à l’infini. En sorte que la persistance des erreurs est en raison même de la grandeur des vérités. Qu’on ne soit donc pas surpris si la puissance sociale, inaccessible aux sens malgré sa réalité, a semblé aux premiers hommes une émanation de l’Être divin, à ce titre le digne objet de leur religion. Moins ils savaient, par l’analyse, s’en rendre compte, plus vif en était chez eux le sentiment, bien différents en cela des philosophes, qui, venus plus tard, firent de l’État une restriction de la liberté des citoyens, un mandat de leur bon plaisir, un néant. À peine si, aujourd’hui encore, les économistes nomment la force collective. Après deux mille ans de mysticisme politique, nous avons eu deux mille ans de nihilisme ; on ne saurait nommer autrement les théories qui règnent depuis Aristote.