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qui saurait, à l’occasion, maintenir le droit d’une pauvre commune contre les empiétements d’un seigneur de Bauffremont.

Je suis donc loin d’ériger en exemple le coup de mon grand-père : qui mieux que moi sait qu’une société civilisée ne va pas chercher ses modèles dans les nécessités barbares !

Je demande seulement à qui revient la responsabilité première du meurtre ? Qui avait fondé la société féodale ? Qui avait créé ce système, où l’autorité faisant la Justice, le respect et le droit n’étant pas réciproques, la loi étant l’expression du bon plaisir, la balance du juge trébuchait toujours du côté du pouvoir, et la morale n’avait de refuge que dans le désespoir de l’opprimé ? N’était-ce pas l’Église, avec son effroyable dogme de la chute, ayant pour conséquence la misère, pour corollaire la servitude, pour règle la prédestination ?

Si le seigneur prétend exercer sur moi droit de Justice, à mon tour je prétends exercer droit de Justice sur le seigneur : telle fut la pensée qui arma le bras de Tournési. Il eût frappé le justicier du seigneur, comme il frappait son garde ; il eût frappé le seigneur lui-même. Pourquoi non ? N’était-il pas à cette heure, contre une tyrannie insolente, l’organe de la réprobation publique, le vengeur de l’imprescriptible droit ? La commune, dont le silence solennel le couvrit comme d’un bouclier, n’avait-elle pas depuis longtemps, par ses plaintes, par sa résignation même, rendu son verdict ?

Virgile, au huitième livre de l’Énéide, représente le tyran Mézence fuyant la haine de ses sujets, qui le poursuivent d’asile en asile, et, les armes à la main, exigent son extradition :

Ergo omnis furiis surrexit Etruria justis ;
Regem ad supplicium præsenti Marte reposcunt.