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La guerre, répond l’Église, entre dans le plan de la Providence, par conséquent dans les prévisions de l’empire catholique. L’armée est aussi une église, église terrible, affranchie de tout droit et de tout devoir humain, dont le dogme, la religion, l’économie, le gouvernement, la morale, se résument dans ce mot, qui est sa raison d’État, la consigne. Le soldat ne connaît ni famille, ni amis, ni citoyens, ni Justice, ni patrie : son pays est son drapeau ; sa conscience, l’ordre de son chef ; son intelligence, au bout de sa baïonnette. C’est pour cela que l’Éternel est un guerrier, Dominus vir bellator, aussi bien qu’un Dieu de paix, deus pacis. C’est pour cela que l’Église a eu des pontifes belliqueux, Urbain II, Innocent III, Grégoire IX, chefs ou instigateurs de croisades, Jules II et une foule d’autres.

Et en effet, la guerre n’est-elle pas l’état permanent de l’humanité ? Guerre contre le démon, guerre contre l’hérésie et la philosophie, guerre contre la chair et contre l’esprit ; par suite, guerre des peuples et des gouvernements les uns contre les autres, guerre partout, guerre toujours. La Justice pourrait-elle exister de nation à nation, de prince à prince, d’État à État, quand elle n’existe pas dans la nation elle-même de prince à sujet, de gouvernement à citoyen ?

La guerre est l’expression violente de la pensée religieuse. L’armée, comme l’Église, est le monde du passe-droit, du favoritisme, du bon plaisir, de l’obéissance passive, du mépris de la vie et de la dignité humaines. C’est, dit-on, le foyer de l’héroïsme et du dévouement ; c’est aussi celui de la trahison et de la lâcheté. Lisez, dans les mémoires et correspondances du temps, les plaintes des militaires de tous grades, sous le consulat et le premier empire. Là point de morale ; nul souci du droit et des lois. Se bat-il bien, demandait un général, à propos