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larmes n’étant ainsi qu’un temps d’expiation, une lutte contre nos penchants et contre le diable, il en résulte manifestement que la société chrétienne ne peut être organisée pour la liberté, la paix et le bonheur : ce serait nous faire jouir dès cette vie de la condition des saints. Elle ne peut être organisée que pour la guerre. Elle s’appelle l’Église militante, marchant à la conquête du ciel, sous des chefs institués d’en-haut, à travers les épreuves dont il plaît à la Miséricorde divine de semer sa route. C’est une croisade sans fin de l’humanité tout entière contre le génie du mal, où le soldat se rafraîchit par moments à l’étape, mais où l’obéissance la plus absolue, l’abnégation la plus parfaite, sont la première loi et le premier devoir.

Comment dès lors une semblable destinée serait-elle compatible avec cette égalité que les plus anciens mythes, monuments défigurés de la révélation adamique, reléguaient déjà loin derrière eux, vers l’époque incalculable de l’âge d’or ? Comment pourrait-elle s’accorder avec l’exercice d’un pouvoir régulier, démocratique, où chaque citoyen exercerait sa prérogative et conserverait sa liberté ?

La vie du chrétien est une milice, Militia est vita hominis super terram. Chaque jour il reçoit sa solde, Sicut dies mercenarii dies ejus. — La constitution de l’État chrétien doit donc être la même que celle d’une armée, Sicut castrarum acies ordinata. Il répugne à la raison, autant qu’à la foi, qu’il en soit autrement.

Que si telle est l’idée qui anime le gouvernement chrétien, il est aisé de dire quelle est sa loi. Ce n’est pas là Justice ; c’est encore la raison d’État, mais la raison d’État expliquée, sanctifiée par le décret de la Providence, rendue plus morale par la conformité, formelle ou présumée, de la volonté du peuple à l’ordre de Dieu, et par la foi en ses promesses.