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galité, ait disparu. En politique, le paganisme vit toujours ; il partage avec le christianisme la religion des mortels, et plus la dissolution du corps social devient imminente, plus il se vante de le guérir… par la force.

Platon, qui avait si bien vu que la Justice et la vertu sont les seules et véritables bases de l’État ; qui accusait la démagogie de son temps d’avoir fait de la politique un art de crime, une théorie de violence et d’iniquité ; qui, jouant sur le mot ἀρἴστοι, rappelle ses concitoyens au gouvernement, non plus des riches et des puissants, mais des meilleurs, et leur présente dans ce but un idéal de république où la Justice seule, selon lui, commande et gouverne ; Platon, dans sa célèbre utopie, alors qu’il s’imagine n’obéir qu’à la Justice, ne fait en réalité que suivre la raison d’État. Incapable de faire la balance du doit et de l’avoir de chaque citoyen, regardant l’inégalité comme une loi nécessaire, il ne trouve rien de mieux que de supprimer toute espèce de droit individuel et de faire peser sur les têtes un niveau absolu. C’est la raison d’État élevée à la plus haute puissance : communauté de biens, communauté de femmes, repas communs, élimination de la richesse, du luxe, de la poésie, de l’art : voilà où le prince des politiques et des moralistes se laisse conduire par la théorie de la nécessité.

Esprit plus positif, doué d’un sens trop vif des réalités humaines pour tomber dans ce communisme, qu’il censure justement, Aristote, tout en faisant la part plus grande à la liberté, au droit de l’homme et du citoyen, n’en reste pas moins, comme Platon son maître, un sectateur fidèle de la nécessité, un praticien de la raison d’État. Mieux que personne il avait aperçu les rapports qui unissent l’ordre politique et l’ordre économique ; les deux premiers livres de la Politique traitent de la société civile, de la propriété, de la famille, du travail, de l’esclavage,