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netteté analytique, si nouvelle encore pour notre époque, que le phénomène pouvait être d’abord envisagé et compris. D’un sentiment unanime, païens et chrétiens, monarchistes et démocrates s’accordèrent à considérer l’inégalité comme une loi de la nature et de la Providence contre laquelle nul n’avait le droit de protester, et qui, s’imposant à la raison pratique, devenant ainsi raison d’État, trouvant son expression, et, si on peut le dire, sa garantie dans le pacte social, conduisait systématiquement l’État de naufrage en naufrage.

Établie sur une conception pareille, la société est en œuvre de suicide ; le pouvoir, gardien de la Justice, est impuissant à remplir son mandat : c’est un organe d’iniquité. Contraint fatalement, pour soutenir un ordre de choses dont l’immoralité ne tarde pas à paraître, à user envers les citoyens de violence, de ce moment il est perdu. En place de la Justice règne la raison d’État, dont le dernier mot, le terme funeste, est la tyrannie.

On en a fait avant moi la remarque : la vie des États est une dialectique. Rien ne le montre mieux que ce système de la Nécessité.

VIII

L’ordre politique, ainsi que l’a montré Aristote, étant lié à l’ordre économique, tous deux solidaires, on peut prévoir quelle influence l’inégalité sociale, soutenue per fas et nefas, exercera sur la stabilité de l’État.

Le pouvoir, en effet, n’ayant et ne pouvant avoir d’objet que de protéger l’ordre économique dans ce qu’il a de juste et dans ce qu’il a d’injuste, il est clair que le gouvernement aura la paix ou sera livré à l’antagonisme selon que les intérêts seront plus ou moins troublés par le défaut d’équilibre et par leur antagonisme ; en autres termes, que l’iniquité qui affecte l’ordre social se commu-