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raison y incline, à moins de supposer que le gouvernement ne soit qu’une superfétation nuisible, d’où vient que la nation française, intelligente entre toutes, généreuse, pleine d’audace, aimant la liberté jusqu’à la licence, l’égalité jusqu’à l’ostracisme, l’ordre public jusqu’à la transportation, folle de légalité et folle d’arbitraire, d’où vient qu’une telle nation ne l’a pas encore trouvée ?

M. de Broglie tond à accuser le pays : j’inclinerais plutôt à accuser le pouvoir. Mais toutes ces récriminations de peuple à prince sont puériles ; elles ne prouvent qu’une chose, que le pays et le pouvoir, malgré leur bonne volonté, ne peuvent faire ménage ensemble : et c’est ce dont je demande la raison.

Que si, la question intentionnelle étant des deux parts écartée, les parties mises dos à dos avec leurs griefs réciproques, nous devons rapporter à une loi générale les évolutions politiques dont notre nation est le passif et très-instructif sujet ; si, comme a prétendu le démontrer Machiavel dans ses discours sur Tite-Live, les sociétés sont condamnées à rouler sans fin dans ce cercle fatal, et si les événements contemporains n’ont fait que justifier sous ce rapport la théorie du Florentin, quelle est alors cette loi ? quelle est la raison de toutes ces aventures ? par quelles considérations de théodicée, de métaphysique, d’économie sociale, expliquer cette antinomie choquante, immorale, d’un être, la société, en lutte continuelle avec sa fonction motrice, avec son maître organe ? Quelle cause secrète oppose incessamment l’intérêt du prince à l’intérêt, d’abord du plus petit, puis du plus grand nombre, et précipite ainsi les États vers leur ruine : comme si le gouvernement avait au sein de la vie sociale, seule continue et progressive, une vie propre et limitée, comme si par conséquent son renouvellement périodique était pour les sociétés une condition de durée ?…