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tel, et qui tient de la religion tous ses droits. Clovis et Charlemagne sont sacrés par l’Église, comme David et Salomon par la synagogue : leurs dynasties font partie de l’héritage de Dieu. Votre fils, madame, disait Châteaubriant à la duchesse de Berry, est mon roi ! Fille aînée de l’Église, la France ne peut, sans adultère, en reconnaître un autre. Il n’y a pas jusqu’à la Réforme qui ne se soit pliée à cette loi : Calvin fut prince de Genève le jour où il en devint le pontife, et parce qu’il en était le pontife. Quand l’Angleterre embrassa le protestantisme, la royauté anglaise dut l’embrasser à son tour : si Jacques II perdit sa couronne, ce ne fut pas, comme on l’a dit, parce qu’il abusait du droit divin, mais parce qu’il en sortait, en niant la divinité de l’Église anglicane.

Les rois, il est vrai, eurent peu de peine à se soumettre à une formalité qui, les faisant entrer en part de la religion, ne pouvait qu’assurer leur puissance, et préparait de loin leur apothéose. Il n’est pas d’exemple de prince qui se soit avisé de réclamer, au nom de son épée, contre la sanction divine qu’exigeait de lui l’opinion. Mais quelque avantage qui résultât pour le prince de cette fiction théologique, il n’est pas moins vrai que le droit divin, imposé par le peuple ou supposé par le chef, témoigne de la souveraine méfiance que les hommes, dès le principe, ont eue de la moralité du pouvoir, autant que de sa solidité. Partout où il s’est formé un État, le chef de cet État a dû, pour faire accepter sa mission, la placer sous une autorité transcendante : dès qu’il s’agit de gouvernement, monarchie, aristocratie ou république, l’homme ne se fie plus à l’homme, il ne reconnaît que les dieux. Les Tarquins expulsés, les consuls furent chargés à la fois du pouvoir civil et sacerdotal ; de par l’ordre du ciel, la religion fut si intimement unie à la République, que les Césars, avec toute leur puissance, ne purent jamais