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sauver des mains inhabiles qui la défendent, de l’empire, qui l’absorbe dans son domaine ; de l’Église, qui la convertit en main-morte ; de la bancocratie, qui la monétise et l’accapare ! Et croyez-vous, Monseigneur, que j’aie besoin pour cela de rétracter un seul mot de ma critique ? Vous seriez dans une grave erreur. La propriété est bien réellement ce que j’ai dit, et que la qualifient in petto les théologiens. Elle ne serait plus une force économique, elle cesserait de fonctionner et de servir, si elle pouvait devenir autre chose que ce que j’ai dit. Mais ce que nul ne pouvait prévoir, tant nous sommes ignorants des lois de l’économie et de la morale, c’est que la Révolution, appliquant à la propriété sa formule égalitaire, la pénétrant de Justice, la soumettant à la balance, saurait faire un jour de cette institution de péché, de ce principe de vol, cause de tant de haines et de massacres, le gage solide de la fraternité et de l’ordre.

Dites-moi, Monseigneur, ce que vous fumez ou respirez dans le tabac, que vous dégustez dans le kirsch, que vous mangez dans le vinaigre, ne sont-ce pas des poisons, et les plus violents de tous les poisons ?… Eh bien ! il en est ainsi de certains principes que la nature a mis en nos âmes, et qui sont essentiels à la constitution de la société : nous ne pourrions exister sans eux ; mais pour peu que nous en étendions ou concentrions la dose, que nous en altérions l’économie, nous périssons infailliblement par eux. Autant, dans le régime de bascule et de faux poids où nous vivons, la division du travail est funeste à l’ouvrier, la concurrence désastreuse, la spéculation dévergondée, la centralisation écrasante, autant j’ajoute que la propriété est immorale et funeste. Comme l’amende amère, réduite par l’analyse chimique à la pureté de son élément, devient acide prussique, ainsi la propriété, réduite à la pureté de sa notion, est la même