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Une ouvrière habile peut gagner jusqu’à 1 sou par heure, soit, pour une journée de travail de 12 heures, 12 sous : la journée ordinaire est payée 50 centimes.

Une ouvrière occupée à domicile porte au bout de deux mois sa note, montant à 30 fr. Elle a donc, pendant ces deux mois, fait crédit de son travail à l’établissement. Vous croyez qu’on va lui compter ses 30 fr. ? Point du tout : on lui retient sur la somme, à titre d’escompte, à raison de 6 p. 0/0 l’an, pour trois mois, 45 cent., neuf sous.

C’est à Paris, en l’an de grâce 1857, que se commet ce grapillage.

Je sais tout ce l’on peut dire sur les risques d’entreprise, les nécessités de la concurrence, les charges du commerce, etc. Ce n’est pas le bourgeois qui a fait le régime où il est engagé : une juste rémunération est due à son initiative. Qu’on la règle, cette rémunération, sur une base équitable, je ne m’y oppose pas. Mais cette retenue de 45 cent. pour un crédit prétendu de trois mois, alors que l’ouvrière en a fait un de deux mois dont on ne lui tient pas compte, n’est-ce pas un fait qui crie vengeance ? Le denier de la veuve si bien raconté dans l’Évangile m’attendrit aux larmes ; ce demi-centime volé jour par jour à la jeune fille m’embrase de fureur. Et ce n’est pas la spoliation seulement que je considère, c’est l’outrage…

Or, si je réfléchis que pour abaisser la journée de la lingère à 50 centimes il a fallu passer par une série de pilleries analogues, transformées successivement en principe et passées en tarif ; si j’ajoute que ce cas particulier est celui de l’immense majorité des ouvriers, n’ai-je pas le droit de conclure que le défaut de réciprocité est ici la cause première de la misère des uns et de la fortune des autres, en sorte que cette inégalité de fortunes