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de Renaissance, de Réforme et de Révolution, n’ont encore pu en effacer l’horreur.

L’Encyclopédie nouvelle apprécie en ces termes l’entreprise, trop oubliée de nos jours, des ordres religieux :

« Au sein de la société laïque, le monastère était, dans la personne de son abbé, une espèce de monstre vivant, un laïque ayant plusieurs corps pour exécuter ses volontés, possédant une intelligence qui dominait autant de forces actives qu’il y avait de moines vivant ensemble sous sa loi. Quelle puissance d’envahissement ne devait-il pas avoir ! Avec quelle force il devait attirer à lui les richesses du monde extérieur ! Soit qu’il s’attaquât à la terre, inculte encore sous l’épaisse écorce des forêts ; soit qu’il prît les membres de la société laïque corps à corps, un à un, isolés, réduits à la force de leur propre individualité, ou engagés dans les liens de coalitions vaines qu’une infinie multitude de rivalités jalouses, d’intérêts opposés, déchiraient à l’intérieur, le monastère ou l’abbé devait sortir de cette lutte toujours victorieux. Il n’y avait rien en cette organisation monacale qui ne fût organe de préhension, et l’œil ne saurait y découvrir une cause de dispersion de richesses. L’économie la plus sévère régnait à l’intérieur. Libre de tous les soins et de toutes les luttes qu’entraîne la possession de choses incessamment convoitées, chaque moine était une force vive disponible que l’abbé dirigeait à l’extérieur contre le monde, dans un but commun et hostile, à une place fixée d’avance et d’après un plan concerté. La mort elle-même ne venait rien déranger aux prévisions de l’intelligence complétement dirigée vers le but : le moine qui mourait ne laissait après lui aucun vide, aucune cause de trouble et de division ; c’était la molécule vivante d’un corps organique dont la mort n’influe nullement sur la vie de l’être dont il fait partie.

« Le monastère était donc un être extrêmement puissant par ses moyens de préhension. La société laïque n’avait rien à lui opposer de semblable ; aussi ne tarda-t-elle pas à craindre et à redouter ses envahissements incessants. Tant que cette activité et cette puissance de la société monastique parurent ne s’employer qu’à exploiter la terre en friche, à abattre les