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de bien feront comme les riches ; mais ceux qui n’ont rien du tout feront simplement leur promesse par écrit et leur offrande, et présenteront leur fils en présence de témoins. »

Se peut-il de ruse plus grossière et en même temps plus infernale ? Les enfants seront reçus à faire profession, sur la présentation des parents, mais à condition que ceux-ci jureront de les déshériter. Déshériter mon enfant parce que je désire le vouer au service de Dieu ! Quelle barbarie ! quel sacrifice à exiger du cœur d’un père !… Oui, répond le législateur du monachisme ; point de milieu entre la religion et la propriété. Si cependant, ajoute-t-il, en considération de ce cher enfant, vous voulez avantager de quelque chose la communauté, vous pouvez faire une donation au monastère. Mais il faut assurer si bien les choses, qu’il ne reste à l’enfant, devenu homme, ni doute ni soupçon qu’il possède rien !…

Voilà pourtant ce qui valut à ce fameux Benoît de Nursie les honneurs de la canonisation, et à sa règle un succès fou. Son ordre se multipliant sous mille formes, absorbant tous les autres, remplit bientôt l’Europe. Dans les villes et les campagnes les congrégations se dénombrent par centaines, les monastères par milliers, les religieux des deux sexes par millions. Au douzième siècle, la seule congrégation de Cluny comptait dix mille moines ; celle des Camaldules, trois mille ; celle de Fontevrault, trente monastères !…

Dès le onzième siècle, l’ordre est devenu si puissant, ses revenus sont si bien assurés, que les bons religieux songent à s’élever d’un degré dans la vie parfaite, en se déchargeant du travail des mains, occupation grossière, pleine de distractions, indigne d’un véritable ascète. C’est alors que Jean Gualbert, fondateur de Vallombreuse, institue les Frères lais ou laïques, chargés de la grosse besogne. À partir de ce moment, les pieux cénobites renoncent à