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dération du respect qu’il me rend à son tour ? non, la Justice est supérieure même à cet intérêt. Elle n’attend pas la réciproque pour agir ; elle affirme, elle veut le respect de la dignité humaine, même chez l’ennemi, c’est ce qui fait qu’il y a un droit de la guerre ; même chez l’assassin, que nous tuons comme déchu de sa qualité d’homme, c’est ce qui fait qu’il y a un droit pénal.

Ce que je respecte en mon prochain, ce ne sont pas les dons de la nature ou les charmes de la fortune ; ce n’est ni son bœuf, ni son âne, ni sa servante, comme dit le Décalogue ; ce n’est pas même le salut que j’attends de lui en échange du mien : c’est sa qualité d’homme.

La Justice est donc une faculté de l’âme, la première de toutes, celle qui constitue l’être social ; mais elle n’est pas rien qu’une faculté : elle est une idée, un rapport, une équation. Comme faculté elle est susceptible de développement ; c’est ce développement qui constituera, ainsi qu’on le verra plus tard, l’éducation de l’humanité. Comme équation elle ne présente rien de variable, d’arbitraire et d’antinomique ; elle est absolue et immuable comme toute loi, et, comme toute loi encore, hautement intelligible. C’est par elle que les faits de la vie sociale, indéterminés de leur nature et contradictoires, deviennent susceptibles de définition et d’ordre.

Il suit de là que la Justice, conçue comme rapport obligatoire en même temps que comme réalité animique, ne peut plus, par la déduction de sa notion, aboutir à la subversion d’elle-même, ainsi qu’il est arrivé à tous les systèmes, religieux ou non-religieux, qui ont prétendu en donner la formule, et ce qui ne manquerait pas d’arriver encore si, comme on en accuse la Révolution, la substitution des Droits de l’homme au respect d’en haut devait avoir pour résultat de faire de l’homme un autolâtre, c’est-à-dire un Dieu.