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les notes d’un agent invisible, avec qui je ne serai pas confronté ; que pour aller plus vite encore on m’expédie sans jugement, clandestinement, à Cayenne ou à Lambessa : c’est une violence qui ne tombe que sur le corps, et qu’explique, sans la justifier, l’état de guerre sociale où nous sommes et le régime de dictature qui en est la conséquence.

Mais la vie privée, mais la conscience dans ses manifestations intimes, insondables, quelle raison d’État peut en autoriser la violation ? Ah ! si vous nous avez ravi l’habeas corpus, laissez-nous du moins l’habeas animam. Après tout, cet arbitraire exercé sur notre chair, témoignage de la puissance d’un principe, nous honore ; qui vous autorise à y ajouter l’infamie ?

Je commence donc par poser ce principe, que je nomme principe de la dignité personnelle, comme fondement de la science des mœurs : Respecte-toi.

Ce principe établi, je dis qu’il a pour conséquence de respecter chez les autres, autant qu’en nous-mêmes, la dignité. La charité ne vient qu’après, bien loin après : car nous ne sommes pas libres d’aimer, tandis que nous le sommes toujours de respecter, et que dignité, comme nous la verrons plus bas, c’est Justice.

Or, pour qui considère nos habitudes de licence, nos goûts de calomnie, notre régime policier, notre esprit d’insolidarité, notre insouciance du bien public, nos inclinations de serfs et de laquais, il est évident que le respect de la dignité individuelle est oblitéré dans les âmes : je ne voudrais que ce seul fait pour conclure que notre société n’a pas de mœurs.

Je généralise donc ma question, et, sans m’occuper davantage de ce qui me concerne, je demande : Comment le respect de la dignité individuelle, qui, d’après la définition que nous avons donnée des mœurs et le préjugé