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VI

J’ai résumé les deux hypothèses qui sur la science des mœurs se partagent le monde. Leur vérification fera l’objet de ces études, dont vous pouvez vous vanter, Monseigneur, d’avoir été l’inspirateur. Mon intention n’est pas d’écrire un traité de morale, pas plus qu’une philosophie de l’histoire. Ma tâche est plus modeste : il s’agit de nous orienter d’abord, le reste ira tout seul.

En vertu de quoi sommes-nous honnêtes gens, quand nous le sommes ; et cessons-nous de l’être, quand l’égoïsme prend le dessus dans notre cœur ? Qu’est-ce que la Justice ? Y en a-t-il une ? A-t-elle son foyer dans l’homme, ou dans la Divinité ? Pouvons-nous la reconnaître, la certifier, la suivre ? Qu’est-ce qui nous en garantit la réalité, la nécessité, la suprême bienfaisance ? Pouvons-nous nous sacrifier, même sans espoir de retour, et rester heureux et libres ?

Ce qui revient à dire, d’après l’exposé succinct que je viens de faire des deux théories qui se produisent :

La Justice est-elle avec l’Église, ou avec la Révolution ?

D’un côté, quel a été jusqu’ici l’enseignement de l’Église ? Que vaut sa doctrine ? Comment assure-t-elle la vertu et la liberté de l’homme ? Qui l’agite à cette heure, et contre quoi se montre-t-elle si pleine de haine et de menace ?

Par contre : Quelle est la signification morale et juridique de la Révolution ? Quelle est sa puissance de perfectionnement ? N’est-ce point un paradoxe, après avoir accusé la morale chrétienne d’insuffisance, de nullité, de corruption, de prétendre lui en substituer une autre plus rationnelle, plus libérale, et à tout jamais inviolable ?

Jamais, j’ose le dire, la pensée religieuse qui donna naissance à l’Église, et qui en dehors d’elle anime toutes les sectes mystiques, ne se sera trouvée à pareille fête ;