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Ces deux syllogismes, longtemps regardés comme inattaquables, sont basés sur des généralités dénuées de certitude.

1o La science ne nie ni n’affirme que ce qui pense soit indivisible ; elle n’en sait rien : mais elle nie qu’on puisse démontrer la divisibilité à l’infini de la matière, et plusieurs physiciens ont pris décidément parti contre cette opinion. La substance de l’âme pourrait donc être une particule matérielle, indivisible, si l’on veut, atomiquement, mais soumise, comme toute autre, aux phénomènes d’affinité et de composition chimique. D’après cela, la monade qui pensait dans le cerveau de Newton ne serait point anéantie ; mais elle pourrait avoir passé indifféremment dans la pulpe d’une orange, dans le pis d’une chèvre ou dans la tête d’un enfant.

2o La mort, ajoute-t-on, n’est que la division des parties. — Mais s’il est une vérité reconnue en physique, c’est que la matière, divisible ou non à l’infini, est indestructible. Ce qui périt par la mort, c’est un aggrégat, un organisme, capable de certains effets spontanés et de certains mouvements. L’unité de substance, exclusivement attribuée à l’âme, ne lui donnerait donc aucun avantage sur la matière.

3o L’âme, dit-on, est indivisible, parce que la pensée est indivisible. Mais, observait Kant, l’auteur des catégories, c’est confondre mal à propos les concepts de quantité et de qualité : rien n’autorise à dire que l’attribut de la pensée soit en même temps l’attribut du sujet.

4o Qui nous assure, en effet, que la pensée ne puisse être aussi bien l’effet d’une synthèse organique que le produit d’une force simple et indivisible ? Connaissons-nous toutes les propriétés de la matière ? pouvons-nous limiter la puissance de ses organismes ? Pour moi, je ne vois point qu’il soit nécessaire de recourir à des forces occultes à mesure que l’on parcourt l’échelle des êtres ; et si je conçois qu’il y ait progrès du cristal à la plante, de la plante à l’insecte, et de celui-ci au quadrupède, je conçois aussi qu’il y ait progrès du quadrupède à l’homme. J’entrevois, d’après cette gradation, comment se constituent l’unité et la simplicité du moi humain ; je n’ai pas besoin pour cela de recourir à la présence d’un agent inconnu. Quoi donc ! faudra-t-il admettre des âmes de singes, des âmes de poissons, des âmes de chenilles, des âmes de poiriers et des âmes de champignons ?… Je n’ai garde, assurément, de donner ces analogies pour des preuves ; je ne les offre que comme probabilités ; et, contre le syllogisme plus haut proposé, cela me suffit ; je réponds à une généralité par une autre.

106. Dans le syllogisme analysé au no 103, la majeure était une