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royale se fait partout sentir dans le gouvernement, mais jamais nette, immédiate, personnelle, distincte : toujours quelque chose venant des subalternes déguise, corrige ou dénature la volonté royale. Le roi de la charte n’a pas de spécialité, précisément parce qu’il est tout : mais, au point de vue du progrès, le roi est spécial, en ce sens qu’il est l’œil qui, du haut de l’organisme politique dominant tous les mouvements, veille sur l’ordre et la conservation de la société.

b) La fonction royale est-elle sériée ? Oui et non, d’après la charte : car, qu’est-ce que la royauté ? une sorte de pan-organon, une omni-fonction. Le roi travaille, tantôt avec un ministre, tantôt avec un autre : il est maître de varier ses occupations par toutes les divisions et sous-divisions des ministères : quelle synthèse peut résulter de cette infinie variété ! Mais le roi, par ses attributs monarchiques, personnifie le souverain : dès lors sa fonction n’est plus unité sérielle, espèce : elle est, selon le langage des métaphysiciens, genre suprême ; conséquemment la royauté est l’aliquid indivisum, le substantiel incommensurable, le causatif inconnu.

Le roi nomme à tous les emplois d’administration publique : preuve que l’action du roi, telle qu’on l’entend aujourd’hui, n’est ni spéciale ni sériée. C’est le droit féodal, conservé au bénéfice des gens de cour et de leurs créatures, au préjudice de l’égalité, de l’ordre, et de la royauté même, toujours victime de son indomptable aveuglement et de ses incorrigibles complaisances.

c) La personne du roi est inviolable et sacrée, c’est-à-dire, le roi est irresponsable. Donc le roi n’est pas fonctionnaire. Mais les ministres sont responsables : donc le roi est fonctionnaire ; car ses ministres, c’est lui.

Ainsi, d’après la charte, inspirée des vieilles traditions monarchiques, le roi ne rend compte de sa gestion qu’à Dieu ; il n’est jugé qu’après sa mort : ce sont les ministres qui, de son vivant, ont à s’expliquer pour lui avec les hommes. Mais comme, sous prétexte de garder le secret de l’État, les ministres en s’expliquant ne disent rien, le contrôle des actes royaux devient impossible, la responsabilité ministérielle n’est qu’un mot, et l’État va à la garde de Dieu.

Si le monarque est énergique et volontaire, le gouvernement reçoit l’impulsion d’une volonté irresponsable, et tout le secret du despotisme consiste à intéresser au gouvernement personnel, par l’appât des emplois, des distinctions, des portefeuilles et des grâces, la majorité représentative : — si le roi est faible, le bon plaisir ne fait que changer d’organe, et la royauté est le couvre-chef du ministère.