Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

esprit du divorce est de déclarer que, par l’incapacité ou le crime de l’une des parties, le mariage n’a point eu lieu, ou qu’il a cessé d’exister.

Et qu’on ne vienne point alléguer ici les coutumes de l’Orient, ni les mœurs libres de la Polynésie : ces faits, purement négatifs, ne détruisent pas le fait positif du progrès des nations européennes. Là seulement où la civilisation ne marche pas, où la nature humaine semble énervée, la polygamie se soutient ; or, quand le progrès que nous venons de signaler dans les institutions matrimoniales n’aurait eu pour théâtre qu’une tribu de cinq cents personnes, l’immobilité d’un million d’autres ne prouverait rien. Le retard de la presque universalité de l’espèce humaine peut s’expliquer par une infirmité organique ou par un empêchement extérieur : mais le développement d’une fraction, si petite qu’on voudra, de l’humanité dans un sens quelconque, résulte nécessairement d’une disposition constitutionnelle, et, comme le mouvement, suppose une impulsion, une force motrice. Sans doute le but que nous poursuivons n’est pas atteint ; quelque chose reste à faire : mais à coup sûr ce n’est pas dans le sens de la promiscuité si mal déguisée de Fourier ; non plus que de la communauté des enfants et des femmes, proclamée par quelques saint-simoniens et communistes.

L’émancipation de la femme, sa dignité, son rôle, sont encore à définir : les matériaux abondent, cependant l’étude n’est pas faite. La connaissance du progrès accompli peut y servir[1] ; mais elle n’en donne pas la formule, pas plus qu’elle ne donne celle de l’histoire.

461. Plus on étudie l’histoire dans ses divisions, plus on se convainc de l’insuffisance de cette formule générale, le Progrès.

Qui ne sait que la Religion, je veux dire les idées sur Dieu, l’âme, la fin de l’homme, sont en progrès constant d’élucidation depuis l’origine des sociétés ? Le fait est si patent, qu’il a servi à Bossuet de formule, dans son célèbre Discours sur l’histoire universelle. Les révolutions des empires, selon l’évêque de Meaux, ont eu pour cause finale, c’est-à-dire pour raison progressive, l’établissement de la religion de Jésus-Christ. L’idée de la Divinité s’élève, grandit et s’épure, à mesure que la civilisation se perfectionne ; et l’on pourrait presque dire le jour où, de ce côté de

  1. La connaissance du progrès accompli forme précisément cette étude et constitue la science même. Le progrès n’a pas d’autre raison que lui-même, comme la vie n’a pas d’autre raison que la vie. L’histoire est la physiologie des sociétés ; elle est donc science. (Note de l’éditeur.)