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qu’ils eussent dû enfouir avec l’arche de leur dieu. Quand nous jugeons les mœurs et l’esprit des Hébreux d’après la Bible, c’est comme si nous raisonnions de la politique de Richelieu d’après les Sermons de Bourdaloue et le Petit Carême de Massillon.

38. Toutefois, à travers ce flux de prosopopées et d’injures, on aperçoit çà et là quelques vérités.

« Tes gouvernants sont des coquins et des larrons, qui aiment les présents et recherchent les pots-de-vin. »

Le sacerdoce, comme tous les partis ambitieux, s’efforce de capter la bienveillance du peuple, en attaquant les désordres et les dilapidations du gouvernement. Le secret est vulgaire, et exige peu de génie : mais des principes, des lois, des moyens, des remèdes, n’en demandez pas aux prophètes ; ils n’en connaissent d’autre que de se convertir et de faire pénitence.

39. Interrogez maintenant leurs successeurs : après trois mille ans ils rebattent les mêmes choses, trois mille ans ne leur ont rien appris.

« Nulle institution, dit de Maistre, ne peut durer si elle n’est fondée sur la religion. » D’autres ont remarqué, au contraire, qu’un peuple est d’autant moins politique et législateur, qu’il est plus religieux.

Mais qu’entend-il par religion ? Les commandements de l’Église, les sept sacrements, l’abstinence du vendredi et le repos du dimanche, avec la soumission au prince et au clergé. Or, qu’y a-t-il de commun entre l’organisation du travail et la communion pascale ? entre la division des pouvoirs et le culte de la madone ? entre la liberté de la presse et la confession auriculaire ? entre la boîte aux agnus et le problème de la répartition des richesses ?…

« Si la science, ajoute le théosophe, n’est mise après la religion, nous serons abrutis par la science. » Il veut dire que nous n’aurons plus de religion. Mais quel danger y aurait-il si les prêtres, au lieu de sacrements, parlaient un peu d’égalité ; au lieu de rémission des péchés, enseignaient la rémission des usures ; au lieu de chanter en latin des vêpres délaissées, travaillaient à moraliser les théâtres ; au lieu de confréries, organisaient des sociétés scientifiques et littéraires ? Ignorent-ils que plus l’homme travaille, moins il lui faut de pénitences ; que plus il raisonne, moins il a besoin de prier ? Que les prêtres nous montrent enfin, par une expérience décisive, l’efficacité de leurs pratiques : après dix-huit siècles il n’est pas trop tôt.

40. Incapable de pénétrer la raison des choses, la religion est plus impuissante encore à réaliser l’ordre dans la société. L’humanité, saisie dès le berceau par la religion, a grandi et s’est