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politique, l’offre et la demande sont deux divinités capricieuses et ingouvernables, ne relevant d’aucune loi que de leur bon plaisir, et constamment appliquées à jeter le trouble dans les relations commerciales et à leurrer les pauvres humains. Toutefois, rendons justice à nos devanciers : leur méprise sur ce point est venue de leur respect pour la liberté du travail ; ce motif excuserait un million de fautes.

Sans doute, pour que la société subsiste, il faut que les uns offrent leur travail, et que les autres le demandent ; il faut de plus, pour assurer la sincérité des relations, que la valeur du produit soit débattue contradictoirement entre les parties : mais cela veut-il dire que l’offre et la demande soient arbitraires ? qu’elles ne reconnaissent ni principe ni règle ; que l’art de dissimuler ses besoins, d’exagérer ses services, de jeter la défiance entre les producteurs, d’exciter une panique parmi les consommateurs, l’art de mentir, en un mot, puisse être de quelque autorité aux yeux de la science, qui est la vérité même ?

Autres sont l’offre et la demande, c’est-à-dire la responsabilité individuelle d’un côté, et la protection sociale de l’autre ; autres les allées et venues des maquignons. L’autorité de la routine, comme celle des fripons, est en ceci absolument nulle : l’histoire a pour mission de dire ce qui est ; la science ce qui doit être. Qu’une société antagoniste, à peine sortie des chaînes de la barbarie et des langes de la superstition ; une société dans laquelle tous les sentiments sont à la guerre et à la méfiance, ait fait le travail et le commerce ce que nous les voyons, cela se conçoit sans peine : mais que l’on prenne cet état de spoliation réciproque comme le type indestructible des lois économiques, voilà ce que la raison ne saurait accepter jamais.

392. Une méprise dans l’appréciation d’un fait ne va jamais sans une longue perturbation d’idées.

Après avoir confondu, par suite d’une équivoque, les produits de la nature avec ceux de l’industrie, et mêlé, pour ainsi dire, l’histoire naturelle avec l’économie politique ; après avoir soutenu la légitimité du fermage par la chimère du produit net, et pris un fait essentiellement anormal pour principe régulateur de l’échange, les économistes, dogmatisant sur le tout, ont formulé scientifiquement cette série d’erreurs par une distinction devenue fameuse : Valeur en usage et valeur en échange. C’était mettre dans la science le chaos de la pratique, au lieu d’éclairer peu à peu celle-ci par celle-là. Je n’ai pas besoin, je pense, d’entrer dans une discussion nouvelle, pour montrer que, selon la science, la valeur utile et la valeur échangeable, dans une société régulière, sont choses par-