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moniale, la première de toutes, manque ; du moins elle ne réunit pas les conditions de crédibilité qu’exigerait une commission d’enquête ; d’un autre côté, comment nier et déclarer impossible ce qui sort du domaine de l’expérience ? Or l’histoire comparée des religions, la connaissance des lois de la nature et de la marche de l’esprit humain ont fait justice de cette opinion.

L’homme a-t-il inventé son langage ou bien l’a-t-il reçu tout formé par inspiration divine ? La psychologie, par l’organe de Condillac et de M. de Bonald, s’est prononcée tour à tour pour les deux hypothèses ; puis, par l’organe de Rousseau, elle s’est déclarée en ce point sceptique.

Or l’analyse comparée des langues montre que la parole est un instinct de notre espèce, postérieurement développé et cultivé par la réflexion ; que l’homme parle comme il chante, comme il danse, comme il se forme en sociétés ; que les formes ingénieuses des langues primitives s’expliquent de la même manière que les produits, quelquefois étonnants, de l’art primitif, c’est-à-dire par la puissance créatrice de la spontanéité et de l’instinct ; et que la formule dubitative de Rousseau : « Si la pensée est nécessaire pour expliquer la parole, la parole ne l’est pas moins pour expliquer la pensée, » revient tout à fait à dire : Si la marche est nécessaire pour expliquer la danse, la danse ne l’est pas moins pour expliquer la marche. — En effet, où la spontanéité seule opère, il est absurde de chercher du raisonnement.

La propriété qu’ont les différents ordres sériels de s’éclairer les uns les autres sera fréquemment rappelée dans la suite de cet ouvrage ; elle nous servira à montrer que, si toute vérité n’a qu’une preuve, elle peut invoquer plusieurs témoignages. En attendant, nous déduirons de ce qui précède cet aphorisme métaphysique, dont, pressé par le temps, je laisse au lecteur le soin de chercher, les applications, et de déterminer la portée :

Le postulé immédiat d’une série est vrai comme cette série, car il forme avec elle série.

322. Tel est l’exposé sommaire, et sans doute bien imparfait encore, de la Loi sérielle. C’est en ce moment que j’éprouve le besoin de renouveler l’aveu de mon insuffisance, non pour infirmer la certitude générale de mes propositions : grâce au ciel, cette certitude est, à mes yeux, inébranlable ; mais afin d’appeler l’attention des hommes spéciaux et des métaphysiciens sur cette grande loi de la nature, vers laquelle convergent toutes les intelligences. Je n’ignorais pas, en commençant cet écrit, combien peu je devais compter, pour donner une théorie même élémentaire de