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talent ; le droit de l’apprenti, de l’ouvrier, du maître ; enfin la comparaison des spécialités industrielles, et la proportion de leurs représentants. Il faudrait constater si, par les désordres de la concurrence, les inégalités de l’offre et de la demande, l’indiscipline des ateliers, la faveur, le monopole et le privilége, nul n’est privé ou ne jouit illicitement du droit de vote ; si les producteurs étant tous solidaires ne doivent pas être considérés comme virtuellement associés ; si, par conséquent, ils ne doivent pas obtenir tous une part d’influence dans l’expression de la volonté générale.

La conséquence d’un pareil travail serait infailliblement la suivante : par cela seul qu’on déterminerait au moyen de l’analyse les individualités industrielles composant la série des producteurs payant l’impôt, comme cette série embrasserait l’universalité des travailleurs, on conclurait forcément à l’universalisation des droits électoraux, et probablement à un système d’élection à double degré, avec mandat et indemnité : toutes choses que la loi actuelle a précisément pour objet d’éviter.

Donc, je le répète, sérier, c’est conclure ; former un genre avec des espèces, c’est conclure : car, qui dit conclusion dit formule générale, genre ou série.

305. Puisque former une série ou formuler une conclusion est une opération identique, la méthode sérielle est à l’abri des inconvénients de l’induction et du syllogisme. En effet, dans ces deux espèces d’arguments, l’esprit va du connu à l’inconnu en abandonnant son point de départ, et se lançant dans le vide ; dans la série, au contraire, il glisse d’un terme à l’autre sur le fil non interrompu de l’identité ; puis, joignant les extrémités de la chaîne, embrasse tous les cas particuliers sous un même horizon. Or c’est cet horizon qui exprime la totalité sérielle : tout ce qui le dépasse est étranger à la série ; par conséquent la conclusion, n’étant que la formule synthétique de cette série, est démontrée par le fait même de l’analyse. Conclure hors de l’horizon sériel serait méconnaître la théorie, et se contredire dans les termes.

Si, par exemple, de la démonstration qui précède, et par laquelle nous avons fait voir qu’aux termes de la loi qui nous régit tout travailleur doit être électeur ; si, dis-je, on introduisait que tout électeur est éligible, on ferait un paralogisme, parce que rien ne prouve encore que les conditions électorales soient les mêmes que les conditions d’éligibilité[1].

  1. La raison sur laquelle se fondent les partisans de l’éligibilité universelle est que rien ne doit limiter la volonté du peuple souverain, et qu’il faut s’en rapporter à son bon sens et à son intérêt évident pour le choix des députés. Mais alors pourquoi le peuple souverain lui-même limite-t-il sa volonté par des lois ? pourquoi ne s’en rapporte-t-il pas, en tout et pour tout, à son bon sens et à son plus grand intérêt ? Or, si telle est la pratique de tous les temps, pourquoi l’élection des députés ne serait-elle pas soumise a des conditions et règlements, aussi bien que la propriété, l’administration, l’industrie, etc. ? Rien dans la société, comme dans l’univers, ne doit se faire que par règle, loi, poids et mesure : toute tendance contraire est anti-sérielle, anti-organique, et rétrograde : c’est une inspiration de mysticité ou de philosophie.