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Univers, on a donné des noms spéciaux aux choses connues et aux inconnues, aux visibles et aux invisibles, à celles que l’on sait et à celles que l’on croit.

Ainsi l’on appelle substance la matière, quelle qu’elle soit, de toute série, de toute organisation ; le principe de toute inertie ou résistance. Dans une horloge, par exemple, la substance est le fer, le cuivre, en un mot les matériaux divers dont cette horloge est composée[1].

10. On entend par cause la force primitive qui détermine un changement d’état, une production d’ordre ou de désordre, en un mot un mouvement. — Les philosophes, par abus de langage, considérant les différents termes d’une suite mobile comme cause les uns à l’égard des autres, ont cru pouvoir, à l’aide de ces prétendues causes secondes, s’élever jusqu’à la connaissance des premières. Mais il est aisé de voir combien, en prenant des rapports pour des causes, ils se faisaient illusion. La cause qui fait marcher l’aiguille d’une horloge, d’après leur manière de voir, est une roue qui tourne ; la cause qui fait tourner la roue est une chaîne roulée sur un pivot ; la cause qui fait dérouler la chaîne est un poids qui la tire ; la cause qui fait tomber le poids est l’attraction ; la cause de l’attraction… est inconnue. Or, toutes ces causes sont les termes d’une suite mécanique produite dans le domaine de la force, comme un polyèdre de cire ou d’ivoire est un ordre géométrique produit dans le domaine de la substance. De même que la matière ne change pas avec les figures qu’on lui donne et les usages auxquels on l’emploie ; de même la force ne varie pas non plus, c’est-à-dire ne se classe pas, selon les séries dont elle peut être le substratum, le sujet. L’erreur n’est donc point de nommer la substance et la cause[2] ; mais seulement d’aspirer à les connaître et de prétendre les expliquer.

11. Propriété, qualité, mode et phénomène sont autant d’expressions corrélatives de substance et de cause, et servant à désigner ce en quoi l’une et l’autre sont perceptibles, c’est-à-dire l’ordre ou le désordre qu’elles présentent.

12. D’après ces notions, l’ordre, ou ce qu’il y a de purement formel dans la nature, étant la seule chose accessible à la raison,

  1. Essence a plutôt rapport à la disposition et au but qu’à la matière, et s’entend de l’ensemble des parties, non des éléments constituants de la chose. La substance d’une horloge peut être la même que celle d’un tournebroche : mais l’essence de la première consiste dans une combinaison dont le but est de marquer les divisions du temps ; l’essence du second est simplement de produire un mouvement de rotation continu, sans périodicité.
  2. Voir plus bas, chap. iii, § 7.