Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ordre au travers des perturbations sociales ; il organise la série industrielle comme une salle de bal, et condamne tout le passé de la civilisation. Dès lors que Fourier s’enfermait dans ses propres conceptions, la théorie sociétaire devait inévitablement prendre, sous sa main, la physionomie de ses habitudes : s’il eût été moine ou soldat, nul doute que son plan d’organisation, de hiérarchique et individualiste qu’il l’avait fait, ne fût devenu, comme ceux de Lycurgue et de Campanella, despotique et conventuel[1].

Fourier aimait les fleurs et se connaissait en botanique : comme il ramenait à une seule formule tous les êtres créés, son imagination lui fit voir dans chaque plante, chaque animal, le reflet d’une maladie de l’âme, la contre-épreuve des vices de la société actuelle, et des joies futures des harmoniens. C’est ainsi que, ses idées se rétrécissant toujours, il trouvait dans une chimère la confirmation d’une autre chimère, et rendait son mal de plus en plus incurable.

Ne se rendant pas compte du but et de l’utilité historique de l’ontologie, de la psychologie, de la morale, de la logique, de la théologie, et fort éloigné de croire que ces prétendues sciences fussent l’expression des tendances de l’esprit humain vers une théorie de la loi sérielle, Fourier n’eut garde de voir dans les philosophes ses devanciers naturels : il se posa résolument en inventeur, jeta le mépris et l’insulte aux sophistes, et se priva des secours qu’il eût trouvés dans leurs ouvrages.

218. Fourier n’essaya pas de donner une théorie ou seulement une Exposition de la loi sérielle. Il distinguait des séries simples, mixtes, composées, mesurées, puissancielles, infinitésimales, etc. Comme il ne les a point analysées ni définies, je ne saurais dire ce qu’il entendait par là. Au reste, un exemple de la série qu’il nommait conjuguée fera juger de la portée de ses vues.

On sait qu’en prenant une suite de nombres en progression simple, si l’on additionne le premier et le dernier, le second et l’avant-dernier, le troisième et l’anté-pénultième, etc., la somme de ces diverses additions est toujours la même. Soient, par exemple, les nombres 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 : 4 et 8 font 9, 2 et 7 font 9, 3 et 6 font 9, 4 et 5 font 9.

Fourier a imaginé de classer sur ce modèle la population d’un phalanstère : bambins et patriarches, chérubins et vénérables, sé-

  1. J’ai connu Fourier : il avait la tête moyenne, les épaules et la poitrine larges, l’habitude du corps nerveuse, les tempes serrées, le cerveau médiocre : un certain air d’enthousiasme répandu sur sa figure lui donnait l’air d’un dilettante en extase. Rien en lui n’annonçait l’homme de génie, pas plus que le charlatan.