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d’État. Motif juste, puisqu’il se fonde sur la conscience universelle, dont les jugements sont absolus et imprescriptibles, bien différents en cela de nos législations attardées et transitoires.

Ceux qui, en témoignant de leur dévouement au statu quo politique et social, affectent tant de sévérité à l’égard des agioteurs, feraient donc bien de se montrer plus conséquents et de ne pas s’arrêter à mi-chemin. Dans l’état actuel de la Société, le commerce, livré à la plus complète anarchie, sans direction, sans renseignements, sans point de repère et sans principe, est essentiellement agioteur ; il ne peut pas ne l’être pas. Dès lors, il faut ou tout condamner, ou tout permettre, ou tout réformer. C’est ce que je vais faire comprendre en quelques mots.

Il est juste, n’est-il pas vrai, que le particulier qui entreprend à ses risques et périls une vaste opération de commerce, dont le public est appelé à profiter, trouve dans la revente de ses marchandises une honnête rémunération. Ce principe est de toute justice : la difficulté est d’en rendre l’application irrépréhensible. En fait, tout bénéfice réalisé dans les affaires, s’il n’est dû exclusivement à l’agiotage, est plus ou moins infecté d’agiotage : impossible de les séparer. Dans un milieu insolidaire, dépourvu de garantie, chacun travaille pour soi, personne pour autrui. Le bénéfice légitime ne se distingue pas de l’agio. Tout le monde s’efforce d’enlever la plus grosse prime : le commerçant et l’industriel agiotent, le savant agiote, le poëte de même que le comédien, le musicien et la danseuse, agiotent, le médecin agiote, l’homme célèbre et la courtisane agiotent autant l’un que l’autre ; il n’y a réellement que les salariés, ouvriers,