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LE COUPLE AU JARDIN

mais ici, l’on ne parlait que le français et le provençal.

— Mère, ne tricotez pas trop longtemps : vous savez que cela vous donne une douleur à l’épaule.

— J’y prendrai garde, ma petite fille ; mais ces brigands d’enfants Labarre usent tant de culottes que, bientôt, mes vieilles mains ne suffiront plus à y pourvoir…

Mme Galliane avait fort à faire à exercer sa vigilance sur les familles des ouvriers. Que les marmots de Labarre fussent pourvus de culottes et convenablement chaussés, que la femme de Carini prît soin de son foie, que les Ramillien — ces paniers percés — parvinssent à la fin du mois sans retourner leurs poches, la vieille dame s’en estimait responsable. Elle était toujours trottant de l’un à l’autre ménage, les mains pleines de choses utiles, l’œil attentif et clairvoyant. C’est elle qui discernait, avant les mères, le moindre malaise d’un marmot ; c’est elle qui pansait les genoux écorchés, posait les cataplasmes, faisait avaler les vermifuges, soignait, consolait, cajolait. Elle ne prodiguait point les conseils, mais ceux qu’elle donnait tombaient rarement dans le vide.

Elle disait à sa bru :

— Ma petite enfant, je ne comprends pas grand’ chose aux théories nouvelles qui réclament des réformes sociales. Mon socialisme à moi consiste à traiter nos ouvriers et serviteurs comme s’ils étaient mes enfants. Les payer suffisamment, leur donner le bien-être, veiller à leur hygiène, ce n’est pas assez : nous devons les aimer.

Il faut bien croire que cette théorie avait du bon, car, sur le domaine, la petite vieille dame était l’objet