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YVETTE PROST

et les problèmes de la médecine, les fluctuations de la politique, les questions sociales lui étaient plus familiers que les recettes de cuisine. Le mariage avait subitement modifié ses goûts. Le besoin de s’occuper sans cesse de l’homme aimé, de travailler à son bien-être, à son bonheur, lui avait fait découvrir la chaude poésie des travaux féminins. Elle savait maintenant qu’un grand amour ramène irrésistiblement la femme à ses instincts primitifs et aux traditions de ses aïeules. Certes, elle se désintéressait moins que jamais de la vie intellectuelle et des grands courants d’idées ; mais elle éprouvait également le besoin de modeler entre ses mains tendres l’humble bonheur quotidien.

Elle descendit à la cuisine pour établir, avec la bonne, le menu du déjeuner. Mais Fine venait d’abandonner ses casseroles pour aller s’asseoir dans la région de la basse-cour, sur le banc de pierre en demi-lune, à l’ombre des oliviers au quintuple tronc qui ressemblent à des nids creux pour de grands oiseaux. C’était l’heure où Fine prenait son second déjeuner. Le matin dès l’aurore, elle s’était administré une hygiénique soupe à l’oignon et à l’ail. À neuf heures, son estomac dispos réclamait un confortable bol de chocolat. Elle venait le déguster là, sous ses arbres favoris, en conversant avec les poules, les canards de Barbarie et les pigeons de belles races qui s’ébattaient dans la volière. Elle ne se pressait point. La dernière cuillerée absorbée, elle s’attardait à rêvasser en balançant sa pantoufle au bout de son pied. Perdre un peu son temps en balançant sa pantoufle, ce n’était pas seulement le plaisir de Fine, c’était surtout le symbole de son libre arbitre.