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YVETTE PROST

jugeant en péril, me mit dans la main un browning — dont je ne savais même pas me servir. Brutalement molesté, j’ai voulu tirer en l’air. Un coup de poing a fait dévier mon arme…

« Sans savoir qui j’avais atteint, je fus entraîné par mes amis… Le lendemain matin, la mort de votre père mettait Toulon en rumeur. On prononçait mon nom… Alors, je dus à des amitiés sûres — dites, si vous voulez, à des complicités — la possibilité d’échapper à la police.

— Est-ce là l’attitude d’un innocent ?

— Mon innocence, comment la prouver ? Mon arrestation eût-elle réparé le malheur ? Ce qui m’importait avant tout, c’était d’éviter le scandale. J’appartenais à une famille aux principes rigides, élevant le culte de l’honneur à des hauteurs cornéliennes. Ma famille m’a chassé, renié, condamné ; mais, du moins, j’ai laissé son nom intact.

» Ce qu’a été ma vie depuis ce jour maudit, je crois vous en avoir donné un aperçu : misère, humiliations, solitude, remords, efforts désespérés pour redevenir un homme… Si vous exigez un autre châtiment, je me remets entre vos mains. »

Pendant le silence qui suivit, Nérée oublia un moment celui qui venait de parler. Le regard voilé, il évoquait la chère figure de son père ; il revoyait, en un raccourci émouvant, cette vie sereine et sage, faite d’actions utiles et de bonté ; cette vie limpide et harmonieuse comme l’atmosphère du jardin natal. Tant de force et de douceur anéanties en une seconde par le geste d’un inconscient !…

Mais il sembla soudain s’éveiller en sursaut ; il y eut un éclair dans ses yeux et sa voix se fit dure :