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LE COUPLE AU JARDIN

L’autre avait étendu le bras comme pour arrêter le mot redoutable :

— Non, monsieur, fit-il sourdement, non, pas un assassin, mais plutôt une victime. Le coup de feu parti involontairement de ma main n a pas été fatal qu’à votre père…

— Vous vivez.

— Je vis ! Je ne vous souhaite pas de connaître cette vie-là. Faites-moi la grâce d’entendre toute ma triste vérité. Ensuite, vous disposerez de moi.

« Le soir que vous êtes venu m’assister sous ma tente — j’étais si loin de deviner en vous le fils de Paul Galliane ! — je crois vous avoir dit que je payais chèrement des folies de jeunesse. La plus grave de ces folies avait été de me laisser séduire par les théories anarchistes… J’étais pétri à la fois de sentiments généreux et d’idées fausses. J’abandonnai mes études médicales pour me jeter dans la mêlée ; je devins un agitateur… dangereux, oui. Je n’avais jamais touché une arme à feu, je n’aurais pas effleuré un cheveu de mes adversaires ; mais je rédigeais, presque à moi seul, une petite feuille incendiaire ; et certaines paroles écrites dans un journal ou prononcées dans un meeting peuvent être des armes chargées…

« Rappellerai-je la sinistre nuit qui fit de moi un meurtrier ? Je venais d’écouter parler votre père ; je n’admettais aucune de ses idées ; mais son accent avait été d’une sincérité émouvante. Je me retirais, tranquille, ne songeant qu’à m’aller coucher. Comment la bagarre éclata-t-elle ? Le sait-on jamais ?… Il y avait là des débardeurs du port gavés d’alcool, il y avait de mauvais garçons… Un moment, je me vis entouré, menacé ; des coups de feu partirent. Un camarade, me