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LE COUPLE AU JARDIN

vouable, combien d’honnêtes gens pourraient se vanter de n’en avoir jamais eu la tentation ?… »

Dormir ? Non, c’était fini. Tous les phantasmes, tous les monstres de l’insomnie se dressaient, l’encerclaient à nouveau, la menaçaient, l’affolaient.

« Une dénonciation anonyme, quelle vilenie ! Diane, en proie à tes pires démons, tu n’avais jamais été en danger de tomber si bas… Mais cette femme, avec ses airs d’hermine immaculée, qui bafoue ce grand honnête homme ! C’est une créature abjecte, qu’il faut confondre. Et, à défaut d’un procédé plus conforme à mon caractère…

« Créature abjecte ?… Mais toi, la justicière, hésiterais-tu à lui prendre son mari, s’il était accessible ?…

« Et, même si la femme est indigne, est-il permis d’adresser cette saleté que je viens de mettre sous enveloppe à l’homme qu’est Nérée ?… Je me demandais hier pourquoi je l’aime tant. Ce n’est pas seulement pour ses traits physiques, son sourire et sa voix ; c’est surtout à cause d’une qualité d’âme que je n’ai jamais rencontrée chez un autre homme. Est-il permis de délivrer cet être pur par un procédé dégradant ?… »

Diane, agitée par une nervosité croissante, ne pouvait rester étendue. Elle quitta son lit fiévreux, endossa un kimono, ouvrit la porte de la maison, s’assit sur les marches du seuil. Et, seule dans la splendide nuit printanière, elle pleura.

La brise, chargée de l’odeur des orangers et des pittospores, baignait de fraîcheur les paupières humides ; au travers du prisme des larmes, les images extérieures s’embellissaient d’un rayonnement surnaturel.

Sur le golfe de Giens, les hydravions évoluaient trois par trois, et leurs projecteurs éclatants figuraient