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LE COUPLE AU JARDIN

ques de vignes et de primeurs, sont enfouis les vestiges de quatre civilisations écroulées ; et, durant des années, l’on ne pouvait remuer cette terre rouge, miraculeusement féconde, sans que la bèche rencontrât quelque fragment de pierre portant un mot d’une inscription latine, quelque tesson de poterie grecque, sarrazine ou romaine, l’anse d’une amphore, une pièce de monnaie à l’effigie de Trajan ou de Septime Sévère… Des restes plus importants émergent du sol : puits creusés depuis deux mille ans et demeurés intacts : voûtes et pans de murailles d’un mètre d’épaisseur, construites en ciment romain indestructible et qu’envahissent aujourd’hui le lierre et le lentisque. Au milieu des cultures, flanquée de deux cyprès en cierge, s’élève la minuscule chapelle du XIe siècle, vestige d’un couvent aux sombres légendes.

Comment l’imagination ne serait-elle pas séduite par tous les prestiges de cette terre ? Et les raisons du cœur ne sont pas moins puissantes. Le domaine Pomponiana appartient depuis deux siècles aux Galliane. À la force de leur poignet, à la sueur de leur front, les ancêtres de Nérée défrichèrent ces terres retournées à l’état sauvage, couvertes de pinèdes et de bruyères ; ils plantèrent les oliviers, les orangers, la vigne et, jour après jour, conquirent sur la forêt ou la lande un lambeau de riche terroir.

Immobile sur la hauteur, le jeune homme embrasse du regard son royaume fleuri. Mais bientôt ses yeux se sont fixés sur un point mouvant : la robe claire et la chevelure blonde qu’on voit aller et venir parmi les verdures. Les lèvres de Nérée ont un mouvement : prononcent-elles un nom ? esquissent-elles un baiser ?