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LE COUPLE AU JARDIN

que, possédait le secret des nobles attitudes : « l’allure d’un centurion », disait son patron. C’était un homme consciencieux, sobre et dur au travail ; mais d’une susceptibilité extrême et d’humeur taciturne. Il lui arrivait de demeurer une semaine sans adresser la parole à sa femme ; mais il parlait tendrement à son cheval et, sa journée finie, en grattant une mandoline, chantait pendant des heures d’une voix haute et bien timbrée, de langoureuses romances de son pays. Carini n’avait jamais supporté nulle autorité avant d’obéir ponctuellement à ce jeune patron qui commandait avec une douceur sans réplique.

Labarre était une bonne pâte d’homme, plein de bonne volonté, fort dépourvu d’intelligence. Comme il s’était offert le luxe de sept rejetons, c’était pour lui un rare bonheur que de vivre sur ce domaine de Cocagne.

Ramillien, ancien marin, avait bourlingué pendant dix ans sur les grands bateaux des messageries. À Marseille, un soir de bordée, cet inoffensif Ramillien, qui n’aurait pas fait de mal à un moineau, se trouva entraîné dans une rixe et eut un geste malheureux. Il le paya de deux années de prison. Au moment difficile de sa libération, il avait été recueilli par le maître du domaine Pomponiana, à qui il était fanatiquement dévoué.

Nérée rejoignit tour à tour les trois hommes pour leur donner ses instructions, puis il se dirigea vers la partie haute du domaine où s’étendaient des champs de freesias, d’anémones multicolores, de violettes et de narcisses. Deux femmes, courbées sur les fleurs, étaient occupées à la cueillette.