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YVETTE PROST

de nourrice du poupon la moitié des subsides que m’envoyait mon père et je me contentais d’un tout petit repas par jour. Mais la situation s’aggrava tragiquement lorsque, après des bêtises majuscules, je vis mon père me couper les vivres.

— Vous n’aviez aucun moyen d’existence ?

— J’avais abandonné mes études de médecine pour me livrer aux pires folies… J’étais à peu près incapable d’aucun travail ; mais la pensée de l’enfant me harcelait. J’ai fait les métiers les plus étranges, jusqu’à celui de figurant à l’Opéra ! — ce qui me permettait d’entendre de la musique, mais rarement de dîner. Et, abruti de fatigue, de saleté et de sous-alimentation, phénomène curieux, je fus pris de la nostalgie de la médecine ! Alors, figurez-vous que j’ai fini par m’introduire à l’hôpital Saint-Louis — en qualité d’homme de peine — au pavillon de Malte, réservé aux lépreux. La journée, je balayais les salles et faisais cent corvées dégoûtantes ; la nuit, j’étudiais. En m’exténuant de travail, j’ai pu suivre des cours. Je prépare une thèse sur la lèpre et vous ne pourriez concevoir quels espoirs je mets en ce travail… De son succès dépendra tout mon avenir et celui de mon enfant.

Une émotion secrète avait voilé sa voix. Il fit une pause, puis reprit d’un ton plus animé :

— La lèpre, monsieur, est une question émouvante qui ne peut nous laisser insensibles. Songez que ce mal — parfaitement curable — s’accroît dans des proportions alarmantes, grâce à des légendes dignes du moyen-âge, à la peur, à une espèce de honte dont il est temps de faire justice. J’y emploierai ma vie, — ma pauvre vie !