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temps un guide sûr pour diriger les citoyens dans leurs réclamations. C’eſt-là qu’ils peuvent voir ſi une Loi eſt contraire aux obligations que la ſociété entière contracte à l’égard des individus, ſi une autre Loi n’eſt pas un des devoirs des diſpoſitaires de la volonté commune, ſi la Conſtitution actuelle offrent une garantie ſuffiſante des droits reconnus par elle ; car autant il ſeroit dangereux que le peuple ne déléguât point la direction de ſes intérêts, autant il le ſeroit auſſi qu’il abandonnât à d’autres mains la conſervation de ſes droits.

Après avoir ainſi expoſé les garanties qui doivent aſſurer les droits du peuple, & réglé ceux dont il a paru utile qu’il conſervât l’exercice immédiat, après avoir déterminé ſous quelles formes il peut les exercer, nous nous ſommes occupés de l’organiſation des pouvoirs qu’il doit déléguer.

Deux opinions ont juſqu’ici diviſé les publiciſtes.

Les uns veulent qu’une action unique, limitée & réglée par la loi, donne le mouvement au ſyſtême ſocial, qu’une autorité première dirige toutes les autres, & ne puiſſe être arrêtée que par la loi dont la volonté générale du peuple garantit l’exécution contre cette autorité première, ſi elle tentoit de s’arroger un pouvoir qu’elle n’a point reçu, ſi elle menaçoit la liberté ou les droits des citoyens.

D’autre, au contraire ; veulent que des principes d’actions, indépendans entr’eux, ſe faſſent équilibre en quelque ſorte, & ſe ſervent mutuellement de régulateur, que chacun d’eux ſoit contre les autres le défenſeur de la liberté genérale, & par l’intérêt de ſa propre autorité, s’oppoſe à leurs uſurpations. Mais que devient la liberté publique, ſi ces pouvoirs, au lieu de ſe combattre, ſe réuniſſent contre elle ? Que devient la tranquillité générale, ſi, par la diſpoſition des eſprits, la maſſe entière des citoyens, ſe partage entre les divers pouvoirs, & s’agite pour ou contre chacun d’eux ?

L’expérience de tous les pays n’a-t-elle point prouvé, ou que ces machines ſi compliquées ſe briſoient par leur action même, ou qu’à côté du ſyſtême que préſentoît la loi, il s’en formoit un autre, fondé ſur l’intrigue, ſur la corruption, ſur l’indifférence ; qu’il y avoit en quelque ſorte deux conſtitutions, l’une légale & publique, mais n’exiſtant que dans le livre de la loi ; l’autre, ſecrète, mais réelle, fruit d’une convention tacite, entre les pouvoirs établis.

Au reſte, un ſeul motif auroit ſuffit pour nous décider entre ces deux ſyſtêmes ; ces conſtitutions fondé ſur l’équilibre des pouvoirs, ſuppoſent ou amènent l’exiſtence de deux partis ; & un des premiers beſoins de la République Françaiſe, eſt de n’en connoître aucun.

Ainſi, le pouvoir de faire des lois, & celui de déterminer ces meſures d’adminiſtration générale, qui ne peuvent être confiées,