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la poésie était morte, et que les poètes n’avaient pas de place au sein d’une société agitée de tant de préoccupations utiles, et tourmentée par tant d’intérêts. La poésie est un luxe dont les esprits oisifs peuvent rechercher les douceurs, et goûter les charmes : mais à quoi s’appliquerait-elle aujourd’hui ? Que pourrait-elle produire qu’il fut possible d’apprécier en avantages réels ? Et d’ailleurs, à qui s’adresserait-elle ? Ah ! ces utilitaires qui pensent et qui parlent ainsi, calomnient leur siècle. Ils méconnaissent les hommes. Ils oublient que la poésie aime à naître et à puiser ses inspirations au sein des contrastes. Ils ne savent pas que les âmes d’élite attristées de ce qui les environne, se réfugient en elles-mêmes, et qu’elles puisent dans cet isolement, que leur font les passions ardentes ou les intérêts égoïstes, une force qui les entraîne et une contrainte qui les féconde. Ils ne peuvent pas comprendre tout ce que l’amour du vrai et du beau éveille dans une imagination créatrice, accessible aux aspirations qui font la joie et qui sont la séduction du cœur. Et pourtant il y aurait une grande injustice à le nier, si ce n’était une présomptueuse et puérile prétention. Aussi, voyez comme les protestations surgissent de toutes parts. Il faut des contrepoids dans les sociétés, et plus elles se laissent aller à des penchants qui abaissent la nature humaine, plus par une heureuse compensation, il semble que la poésie multiplie ses inspirations et agrandisse son domaine.

Certes, nous avons eu dans notre siècle de tristes spectacles. Il y a eu des moments de vertige, où tout semblait se perdre dans une irrémédiable confusion. N’avez-vous pas entendu, Messieurs, au milieu de ces erreurs de l’intelligence et de ces égarements déplorables, dont le bruit venait de tous côtés frapper vos oreilles, des voix inspirées qui faisaient succéder le calme à la tempête, et qui, par leurs accents berçaient doucement votre âme effrayée ? Ne vous êtes-vous pas arrêtés, saisis d’une ravissante extase, à ces accords harmonieux qui