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sa boîte vide sous le bras. Même il endossa, pour ces expéditions, son vieux manteau troué et goûta, de ce fait, un plaisir plus aigu. Il s’assignait un but chimérique, allait jusqu’à telle rue, jusqu’à telle maison. Il se retrouvait tout entier et il lui parut qu’il avait chassé de son esprit un fantôme mauvais. Pour compléter son illusion, il retourna chez ses anciens fournisseurs, se procura des cartes postales, du papier d’Arménie, des savons, des feux de bengale et il les rangea dans sa boîte. Mais cela n’était pas assez et il se décida enfin au sacrifice total. Les trois années passées avaient été lourdes à son cœur : il les allait racheter. L’état de philosophe, pour être pratiqué sincèrement, comporte quelque souffrance. Alors Gualtero remit ses pauvres habits et il suspendit les neufs aux clous de la porte. Il bourra de ses livres et de ses documents la poche de son manteau, il prit sous l’un de ses bras son carton, sous l’autre sa lampe et, tel il était venu, tel il s’en alla vers l’ancien taudis de misère. Mais son âme était débordante d’une joie bien haute, encore qu’un peu amère.