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dernière survivante de cette génération, âgée de quatre-vingt-trois ans, habite une maison qu’elle possède en bordure de la prison depuis près d’un demi-siècle. Cette maison a un grand et superbe jardin au numéro 1 de cette rue de Quatrefages, au bout duquel se trouve une espèce de terrasse qui longe les hauts murs de la prison, et, tout enfant, j’ai souvent joué à l’ombre de ce mur qui dérobait à mes jeunes yeux tant d’angoisses et d’infamie… mais, élevé par une famille de vieux républicains, je savais les noms des martyrs de la tyrannie qui gémissaient ainsi derrière ces hautes murailles ; Blanqui était le plus vénéré. J’y reviendrai tout à l’heure.

Enfin, sous l’Empire, pendant un certain nombre d’années, cette prison fut dirigée avec un tact rare et une bonté supérieure par un vieux philosophe ami de ma famille, âgé aujourd’hui de quatre-vingt-un ans passés et qui a su garder toutes ses qualités d’autrefois, j’ai nommé M. Constant Lefébure.

Comme on le voit, j’ai donc été élevé dans l’entourage, et je dirai presque dans l’intimité de cette vieille prison ; et cela d’autant plus que mon père, qui n’y a jamais été pensionnaire, pouvait s’attendre à le devenir un jour ou l’autre avec ses travaux. Je me souviens qu’un jour, qu’il venait de passer quarante-huit heures aux Haricots pour avoir refusé le service grotesque de la garde nationale, alors que nous habitions rue de Sèvres au second au-dessus du pâtissier Guerbois et en face