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forteresse. La moitié de l’isba était occupée par la famille de Siméon Kouzoff, l’autre me fut abandonnée. Cette moitié se composait d’une chambre assez propre, coupée en deux par une cloison. Savéliitch commença à s’y installer, et moi, je regardai par l’étroite fenêtre. Je voyais devant moi s’étendre une steppe nue et triste ; sur le côté s’élevaient des cabanes. Quelques poules erraient dans la rue. Une vieille femme, debout sur le perron et tenant une auge à la main, appelait des cochons qui lui répondaient par un grognement amical. Et voilà dans quelle contrée j’étais condamné à passer ma jeunesse !… Une tristesse amère me saisit ; je quittai la fenêtre et me couchai sans souper, malgré les exhortations de Savéliitch, qui ne cessait de répéter avec angoisse : « Ô Seigneur Dieu ! il ne daigne rien manger. Que dirait ma maîtresse si l’enfant allait tomber malade ? »

Le lendemain, à peine avais-je commencé de m’habiller, que la porte de ma chambre s’ouvrit. Il entra un jeune officier, de petite taille, de traits peu réguliers, mais dont la figure basanée avait une vivacité remarquable.

« Pardonnez-moi, me dit-il en français, si je viens ainsi sans cérémonie faire votre connaissance. J’ai appris hier votre arrivée, et le désir de voir enfin une figure humaine s’est tellement emparé de moi que je n’ai pu y résister plus longtemps. Vous comprendrez cela quand vous aurez vécu ici quelque temps. »

Je devinai sans peine que c’était l’officier renvoyé de la garde pour l’affaire du duel. Nous fîmes connaissance. Chvabrine avait beaucoup d’esprit. Sa conversation était animée, intéressante. Il me dépeignit avec beaucoup de verve et de gaieté la famille du commandant, sa société et en général toute la contrée où le sort m’avait jeté. Je riais de bon cœur, lorsque ce même invalide, que j’avais vu