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Chvabrine se mit à fouiller dans ses poches et finit par dire qu’il avait oublié la clef. Pougatcheff poussa la porte du pied ; la serrure céda, la porte s’ouvrit et nous entrâmes.

Je jetai un rapide coup d’œil dans la chambre et faillis m’évanouir. Sur le plancher et dans un grossier vêtement de paysanne, Marie était assise, pâle, maigre, les cheveux épars. Devant elle se trouvait une cruche d’eau recouverte d’un morceau de pain. À ma vue elle frémit et poussa un cri perçant. Je ne saurais dire ce que j’éprouvai.

Pougatcheff regarda Chvabrine de travers, et lui dit avec un amer sourire : « Ton hôpital est en ordre ! »

Puis, s’approchant de Marie : « Dis-moi, ma petite colombe, pourquoi ton mari te punit-il ainsi ?

– Mon mari ! reprit-elle ; il n’est pas mon mari ; jamais je ne serai sa femme. Je suis résolue à mourir plutôt, et je mourrai si l’on ne me délivre pas. »

Pougatcheff lança un regard furieux sur Chvabrine : « Tu as osé me tromper, s’écria-t-il ; sais-tu, coquin, ce que tu mérites ? »

Chvabrine tomba à genoux.

Alors le mépris étouffa en moi tout sentiment de haine et de vengeance. Je regardai avec dégoût un gentilhomme se traîner aux pieds d’un déserteur cosaque. Pougatcheff se laissa fléchir.

« Je te pardonne pour cette fois, dit-il à Chvabrine ; mais sache bien qu’à ta première faute je me rappellerai celle-là. »

Puis, s’adressant à Marie, il lui dit avec douceur : « Sors, jolie fille, je suis le tsar ».

Marie Ivanovna lui jeta un coup d’œil rapide, et devina que c’était l’assassin de ses parents qu’elle avait devant les yeux. Elle se cacha le visage des deux mains, et tomba sans connaissance.