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L’orgie dont je devins le témoin involontaire continua jusque bien avant dans la nuit. Enfin l’ivresse finit par triompher des convives. Pougatcheff s’endormit sur sa place, et ses compagnons se levèrent en me faisant signe de le laisser. Je sortis avec eux. Sur l’ordre de Khlopoucha, la sentinelle me conduisit au greffe, où je trouvai Savéliitch, et l’on me laissa seul avec lui sous clef. Mon menin était si étonné de tout ce qu’il voyait et de tout ce qui se passait autour de lui, qu’il ne me fit pas la moindre question. Il se coucha dans l’obscurité, et je l’entendis longtemps gémir et se plaindre. Enfin il se mit à ronfler, et moi, je m’abandonnai à des réflexions qui ne me laissèrent pas fermer l’œil un instant de la nuit.

Le lendemain matin on vint m’appeler de la part de Pougatcheff. Je me rendis chez lui. Devant sa porte se tenait une kibitka attelée de trois chevaux tatars. La foule encombrait la rue. Pougatcheff, que je rencontrai dans l’antichambre, était vêtu d’un habit de voyage, d’une pelisse et d’un bonnet kirghises. Ses convives de la veille l’entouraient, et avaient pris un air de soumission qui contrastait fort avec ce que j’avais vu le soir précédent. Pougatcheff me dit gaiement bonjour, et m’ordonna de m’asseoir à ses côtés dans la kibitka.

Nous prîmes place.

« À la forteresse de Bélogorsk ! » dit Pougatcheff au robuste cocher tatar qui, debout, dirigeait l’attelage.

Mon cœur battit violemment. Les chevaux s’élancèrent, la clochette tinta, la kibitka vola sur la neige.

« Arrête ! arrête ! » s’écria une voix que je ne connaissais que trop ; et je vis Savéliitch qui courait à notre rencontre. Pougatcheff fit arrêter.

« Ô mon père Piôtr Andréitch, criait mon menin, ne m’abandonne pas dans mes vieilles années au milieu de ces scél…