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dernier conseil donné à un ami mourant ! Comme nous les reproduisons avec joie et avec respect !… Du reste, on l’a vu, avant de recevoir le billet de l’empereur, Pouchkine avait demandé un prêtre. L’effervescence de la jeunesse, les fumées de la gloire, le scepticisme importé de l’Occident, avaient éloigné Pouchkine de la pratique de la religion. Mais la foi ne meurt pas facilement au fond du cœur des Russes : Pouchkine portait sur sa poitrine la petite croix de son baptême, et lorsqu’il se sentit mortellement atteint, il ne s’endormit en paix qu’après s’être réconcilié avec le Dieu de ses pères.

Vers le soir, il dicta à Danzas la liste de ses dettes, puis il ôta une bague de son doigt, la donna à son fidèle ami, en lui disant : « Garde-la en souvenir de moi !… Je ne veux pas que personne songe à venger ma mort !… Je veux mourir en chrétien ! »

À peine avait-il prononcé ces paroles que la crise suprême commençait. Pendant trois heures les souffrances du blessé devinrent horribles. « Alors », dit Joukofski, « sa malheureuse femme, dans un état de prostration complète, était couchée auprès de la chambre de son mari. Un sommeil léthargique s’était emparé de ses sens. Dieu semblait l’avoir envoyé exprès, car l’infortunée n’eût pu être témoin des tortures qu’endurait le poète mourant. » Tout le temps que dura la crise, craignant que sa femme ne l’entendît, il étouffait ses gémissements et se tordait les bras… Vers le matin