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LE FRANÇAIS

« Le Français », a dit sourdement entre ses dents Jacques Duval dont le cœur, à l’instant, il ne savait trop pourquoi, se sentit plein d’une haine profonde pour l’étranger.

Il y avait maintenant une âme à la corvée. Une sorte de furie emporte les hommes. Les torses ruissellent, les éclairs des faulx se confondent et l’herbe et le mil et le trèfle se courbent comme sous un grand vent. L’on fauche au pas redoublé. La pièce qui reste encore à abattre s’amincit, se rétrécît, comme en un rêve sous les coups d’une baguette enchantée qui serait la faulx du Français. L’on n’entend plus dans le silence de la prairie que les ahans énergiques des faucheurs qui ne prennent plus même le temps de repasser les faulx sur la pierre et que les plaintes sourdes des plantes que l’on arrache presque à la seule force des bras énervés par l’ambition… Le faucheur, en tête de la file, bientôt lança un juron. Le Français venait de lui jeter un andain dans les talons et il vit aussitôt à sa gauche le rayonnement de la faulx de son concurrent. Il plongea avec rage la sienne dans l’herbe et frappa un caillou.

« Hop !… Hop !… », lui cria l’engagé en passant près de lui, pendant qu’il abat coup sur coup cinq ou six andains de trèfle alsique… Le Français est en avant. Jean-Baptiste Morel a levé la tête et il a ri dans l’ombre de son grand chapeau. Il continue de murmurer : « Mais c’est mon engagé ! » Les autres paraissent humiliés. Jacques Duval qui, malgré des efforts surhumains, est bon dernier, rage.