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LE FRANÇAIS

Voilà que tout à coup, à l’extrémité fauchée de la prairie, un homme accourt venant du côté des bâtiments. D’un geste souple, il enjambe la clôture et saute dans le pré. D’un bond, il parvient à la faulx d’un faucheur qui, rendu à bout, s’était arrêté et l’avait laissée gisant par terre. Retournant à l’extrémité du pré, l’homme s’attaque avec furie à une bande laissée au long de la clôture pour la fin de la corvée. Durant les premières minutes la faulx ne fait qu’un éclair. Il la plonge et la replonge avec saccade dans cette portion de la chevelure d’or du pré. Autour de lui le foin s’affaisse et les andains se forment si rapidement qu’ils se couchent sur le sol les uns presque par-dessus les autres. Penché au niveau de la tête des plus hauts épis de mil, les jarrets nerveux busqués en angle prononcé, le nouveau tâcheron avance presque au pas de course dans le sentier odorant que trace sa faulx dans le foin. L’instrument, entre ses poings, tourne en rond, avec vitesse, comme ferait la langue d’un bœuf affamé. Au bout d’une heure, il a atteint les derniers faucheurs de la file parmi lesquels est Jacques Duval qui a laissé derrière lui, sur sa « filière » à peu près toutes les herbes debout. En quelques minutes, l’enragé faucheur les dépasse ; enfin, sa faulx vole bientôt à côté des premiers de la file.

Les hommes, étonnés, une seconde se sont arrêtés et ont crié : « c’est le Français !… »

« Mon engagé », a murmuré Jean-Baptiste Morel dont un large sourire de contentement ratatina la face parcheminée.