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LE FRANÇAIS

— Moi ?… Mais, non, je vous assure, Mademoiselle Marguerite, je vous assure… Voyez-vous, c’est le soleil que j’ai regardé trop en face !…

« Oui, et cela vous rend triste, le soleil » ? fit malicieusement remarquer la jeune fille… « Moi, Monsieur Léon, je crois plutôt que vous êtes fâché de ne pas faire partie de la corvée. Avouez-le, voyons !… »

L’émigré hésita, un instant, puis, résolument :

« Eh ! bien, oui, c’est cela ! Vos voisins me croient un enfant, un malade, bon tout au plus à aider les femmes à la maison !… Ah ! ils s’imaginent que je ne sais pas faucher !… J’aurais bien voulu qu’ils me vissent dans mon village où, quand je suis parti, je passais pour le meilleur faucheur de toutes nos Cévennes, parmi les jeunes. Oui, Mademoiselle Marguerite, j’ai connu l’orgueil de marcher à la tête d’une « colle » ; je marquais mon passage par des andains plus larges que les autres !… Là comme ailleurs, dans aucune besogne des champs, je ne craignais un rival. J’étais un homme ; on me prend, ici, pour une femmelette !…  »

Marguerite était devenue rêveuse et sa figure prit une expression toute maternelle avec quelque chose de plus. Elle s’approcha tout près du jeune homme toujours appuyé à l’un des linteaux de la porte de l’étable :

« Monsieur Léon », répondit-elle, « je vous crois ; vous êtes humilié, dites-vous, et je comprends ça : vous êtes nouveau, ici, mais vous finirez par connaître nos gens ; vous verrez qu’ils n’ont pas voulu vous faire de la peine ce matin, au contraire. Voyez-vous, monsieur Léon, nous avons nos petites vanités, et c’est quand on