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LE FRANÇAIS

champs, les longues files régulièrement zigzagantes des clôtures, les animaux qui broutaient au milieu des prés ; et il remplissait ses yeux de toutes ces beautés agrestes comme pour effacer tout souvenir des jours mauvais et des misères passées. Fils de terrien, une hérédité paysanne lui faisait aimer cette terre canadienne si pareillement belle à la sienne. Il la savait une terre robuste, féconde. Il se plaisait à regarder ces champs vastes, ces horizons courts, remplis de choses harmonieuses à la fois nouvelles et déjà anciennes, et qui disaient la stabilité du pays, la continuité et l’efficacité de l’effort…

Jean-Baptiste Morel, ce printemps, lui aussi, se reprit à vivre sa bonne vie de la terre. La sève, qui sourdement travaillait les êtres et les choses, lui remontait au cœur ; en proie depuis si longtemps aux émotions, il reprenait, semblait-il, son sang-froid, son équilibre. Il laissa à son engagé la liberté de vaquer à tous les travaux qui lui plaisaient. Il le vit très vite, vaillant et solide au travail. Ainsi, dès que l’herbe fut haute d’un pouce, c’est Léon Lambert qui ouvrit les étables pour lâcher le bétail dans les pacages où vaches, génisses et moutons disaient en de longues clameurs la liberté reconquise. Les vaches dont le poil avait poussé irrégulièrement pendant la claustration hibernale dans l’air trop chaud des étables, montraient, çà et là, à leurs flancs, des places pelées ou croûtées de fumier sec… C’est l’émigré qui creusa dans les chaumes brunis par l’hiver les premiers sillons des labours du printemps. La besogne fut rude d’abord