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LE FRANÇAIS

ne formaient plus, des fois, que de petites boules de plumules grises et rosées et d’où s’échappaient des pépiements confus et assourdissants. Dans les sillons, les moineaux, toujours goinfres, les ailes mi-ouvertes, mangeaient, un œil ouvert à la ronde. De temps à autre, un escadron de bergeronnettes s’abattait, un instant, au bord d’un champ, prestes et légères, comme des papillons, ou bien des escouades d’ortolans traversaient l’air, s’enfuyant vers les montagnes. Toute la terre dégageait en ces moments une odeur âcre que Léon respirait à traits prolongés avec un bien-être de tous ses sens. Il portait en plénitude l’amour de la vie libre. Des sensations reparaissaient à chaque instant dans son souvenir, lui restituaient son âme de jeune montagnard. Il renouait connaissance, lui semblait-il, avec toutes les vieilles et douces choses des plateaux herbeux de son pays, et il se sentait, des fois, dévalant les pentes des monts ruisselant de l’eau argentée des fontinettes, fouaillant au passage les étoiles roses des touffes de bruyère, effarouchant par ses cris des chèvres qui broutaient indéfiniment au long des haies d’aubépine…

L’émigré vivait intensément depuis quelques jours dans ce qui allait être son nouveau domaine ; un contentement de toute l’âme le soulevait, si bien que s’abolissait pour lui cette notion du temps la plus variable qui soit en nous, quand nous l’interprétons selon le rythme de nos impressions. Ces matins-là, sa pensée se reposait en toute quiétude sur le grand paysage outaouaisien. Il regardait les maisons, les arbres, les