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LE FRANÇAIS

l’océan des blés… Des tiges courbèrent plus profondément la tête. Le grand-père eut un geste sévère et dit :

« Non, non, petit !… ne fais pas ça ! Faut pas faire ça… faut pas faire d’mal au blé, jamais !… »

L’enfant leva ses grands yeux noirs étonnés vers le grand-père tout sérieux ; il ne comprit pas mais ne lança plus de mottes dans le blé. Et Jean-Baptiste Morel se remit à songer…

Depuis tant d’années qu’il laboure, qu’il sème, qu’il moissonne, qu’il bat le grain qui le nourrit… voici que le blé, son blé, va lui permettre de renaître dans sa fille, de renaître dans ce petit bout d’homme qui, fait de son sang et du sang d’un fils de France, va continuer, après lui, les destinées de la race. Du sang de la France moderne va couler dans sa descendance comme dans les siennes coule du sang de la vieille France, et rien ne sera changé chez les siens ; les traditions, la langue, la foi se perpétueront les mêmes et pour revivre encore, plus tard… Et puis, c’est curieux, il n’a jamais pensé à cela ; il pense que si la France lui a envoyé providentiellement un de ses enfants pour garder sa terre, c’est pour remplacer le sien, son pauvre garçon qui est allé mourir pour elle… Jean-Baptiste Morel est tout surpris de penser à tant de choses si difficiles. Il aurait voulu trouver des mots, même très simples, pour exprimer ces pensées-là, mais il ne le pouvait. Le bout de cervelle du bambin, d’ailleurs, aurait-il compris toutes ces histoires ? Où donc le grand-père allait-il chercher ces idées qui