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LE FRANÇAIS

Trois minutes plus tard, deux masses s’abattaient dans un fourré de sapins du côté nord du lac. Il était temps ; sur la plaine tourmentée de la glace, la tempête, furieuse d’avoir manqué sa proie, en des halètements et des clameurs assourdissantes, vomissait sa rage jusqu’au ciel…


Aidée de son père et de Léon Lambert, Marguerite, le Mardi-Gras, avait monté, dans la grand’salle, son métier à tisser. Elle s’était imposé la tâche de faire, durant le carême, au moins vingt-cinq aunes de toile de lin et de « catalogne » d’échiffes. Les boiseries compliquées du métier se dressaient dans la clarté d’une fenêtre qui donnait sur le chemin du roi. Son bâti solide et rude était armé de toutes ses pièces : le cylindre de bois à enrouler la chaîne, le cylindre à enrouler la toile, les « marches » de bois blanc luisantes d’usure suspendues par des cordes de chanvre, les lisses, le battant avec sa poignée amincie par le contact continuel des mains, la crémaillère pour empêcher le rétrécissement de l’étoffe, la navette en forme de canot d’écorce, le siège en pente, le peigne en fil de laiton, les poulies de bois supportant les lisses ; rien ne manquait.

Aussi, dès le lendemain, après les offices des Cendres qu’elle était allée suivre avec son père et Léon, à l’église, Marguerite, vaillante, joyeuse, toute au plaisir du tissage, s’était assise au métier comme une reine sur son trône, et, ses deux pieds posés le long des marches, pédales grossières de merisier, à peine équarries, avait saisi la poignée du battant, avait travaillé, travaillé à