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LE FRANÇAIS

de la tourmente. Les berges du lac, à ce moment, pour comble d’infortune, ne présentaient, de chaque côté, que des suites de hauts rochers où quelques mélèzes et des saules tenaient comme par un miracle d’équilibre à de malheureuses racines à peine engagées dans la mousse sur laquelle la neige « poudrante » ne pouvait s’arrêter. Ils eurent la pensée d’aller camper sur l’une ou l’autre des rives escarpées, mais ils réalisèrent que l’arrêt seul des mouvements de leurs membres, par ce froid, serait suivi de la mort, de l’ensevelissement sous la neige. Mieux valait continuer la course dans la tourmente. Maintenant les idées se mêlaient dans leur cerveau comprimé et qui, semblait-il, s’endormait dans une sorte d’ivresse — la terrible ivresse du froid ! Ils entendaient des cris étranges, des sons de cloche qui sonnaient à toute corde et à tout battant dans la tourmente… Des fois, ce sont de belles ondes sonores qui se projettent vivement et qui se répandent, tranquilles et claires, comme des chants venus du ciel ; d’autres fois, ce sont des roulements terrifiants de tonnerre dans un ciel d’orage. Des êtres étranges hantent leur cerveau ou caracolent devant leurs yeux, dans la poudrerie. La fatigue coupe leurs jambes, comme dans les abattis du Campe à Pitre, les haches tranchent à coups redoublés les pins et les épinettes.

La voix encore sonore de Jacques Duval se fit entendre dans une violente bouffée de vent :

« Encore un coup de cœur, Charlie !… tâchons de gagner terre au prochain bois qu’on apercevra !… »